Inaptitude au travail : panorama de la jurisprudence sur le reclassement

Plusieurs arrêts de la Cour de cassation apportent des précisions sur l’obligation de reclassement en cas d’inaptitude constatée par le médecin du travail.

Obligation de rechercher un reclassement malgré l’avis contraire du médecin du travail
C’est à l’employeur de rechercher et de proposer un poste de reclassement au salarié inapte. L’avis d’inaptitude du médecin du travail ne dispense pas l’employeur de rechercher un tel reclassement y compris lorsque cet avis précise que « l’état de santé du salarié ne permet pas  de proposer un reclassement dans l’entreprise ». C’est ce que vient de préciser la Cour de cassation le 5 octobre dernier.
Cette solution pourra être écartée lorsque l’article 102 de la loi Travail du 8 août 2016 sera entré en vigueur, c’est à dire à la date de publication des décrets d’application et au plus tard le 1er janvier 2017. A cette date, l’employeur sera dispensé de rechercher un reclassement, que l’inaptitude soit d’origine professionnelle ou non,  lorsque l’avis du médecin du travail précisera expressément que « l’état de santé du salarié fait obstacle à tout reclassement dans l’emploi ». En effet, il s’agit d’un motif de licenciement pour inaptitude qui n’est pas subordonné à l’obligation pour l’employeur de justifier l’impossibilité de reclassement; cette impossibilité étant intrinsèque à ce motif.
Remarque : à noter qu’aujourd’hui, le seul cas de dispense de l’obligation de rechercher un reclassement qui existe est le cas où l’avis d’inaptitude précise expressément,  en cas d’inaptitude d’origine professionnelle, que « tout maintien du salarié dans l’entreprise serait gravement préjudiciable à sa santé ».  La loi Travail du 8 août 2016 a étendu ce cas de dispense de recherche d’un reclassement à l’inaptitude d’origine non professionnelle et a modifié la mention de l’avis d’inaptitude qui devra préciser que « tout maintien du salarié dans l’emploi serait préjudiciable à sa santé » (au lieu de « tout maintien du salarié dans l’entreprise ». Cette modification entrera aussi en vigueur à la date de publication des décrets et au plus tard le 1er janvier 2017.
Prise en compte du diplôme dans la recherche de reclassement
Lors de sa recherche de reclassement, l’employeur doit rechercher si les postes disponibles sont en rapport avec les aptitudes et les compétences du salarié, le cas échéant après une formation complémentaire. Il n’est pas tenu, pour autant, de proposer un poste nécessitant une formation de base différente de sa formation initiale et relevant d’un autre métier . Deux arrêts illustrent ce principe :
– dans le premier arrêt, l’impossibilité de reclassement n’a pas été retenue au motif que l’employeur ne démontrait pas que les compétences mises en oeuvre dans les postes disponibles et compatibles avec les préconisations du médecin du travail étaient trop éloignées de celles du salarié inapte ni que le salarié était insusceptible d’acquérir une compétence qui lui aurait permis d’occuper ces postes.
Il s’agissait d’un agent de fabrication qui avait été déclaré « inapte à son poste de travail ainsi qu’à tout poste en production ou en expédition mais apte à un poste de technicien qualité de type administratif ou d’encadrement en production sans effort de manutention lourde ou répétitive ». Les seuls postes administratifs de l’entreprise étaient des emplois en comptabilité et en ressources humaines. La salariée ne disposait d’aucune formation en comptabilité ni d’aucune formation juridique mais seulement d’un BTS agricole industries agroalimentaires. L’employeur n’a pas justifié l’impossibilité de lui proposer ces postes car il n’a pas démontré que les compétences mises en œuvre dans les postes administratifs étaient trop éloignées de celles du salarié pour lui proposer un poste de ce type et n’a pas  justifié que celui-ci, titulaire d’un BTS industrie agro-alimentaire aurait été insusceptible d’acquérir une compétence qui lui aurait permis d’occuper tout poste administratif au sein d’une entreprise du groupe ;
– dans le deuxième arrêt, l’impossibilité de reclassement a été retenue au motif que le seul poste disponible était un poste nécessitant le niveau bac général ou professionnel dont ne disposait pas la salariée, titulaire d’un brevet des collèges et d’un BEP agricole. La salariée, opératrice de saisie avait été déclarée inapte à son poste et à la station debout prolongée et apte à un poste assis.Le seul poste disponible dans l’entreprise et le groupe, compatible avec les restrictions émises par le médecin du travail, était un poste de télévendeur en alternance nécessitant le niveau bac général ou professionnel dont ne disposait pas la salariée.
Etendue de l’obligation de reclassement pour l’entreprise d’un réseau commercial
La recherche de reclassement doit être effectuée  au sein d’entreprises qui ont des liens étroits entre elles, qu’elles appartiennent ou non à un groupe, dès lors qu’une permutation de leur personnel est possible. Le critère n’est pas un lien de partenariat ou un lien capitalistique mais la possibilité de permutation du personnel.
En conséquence, lorsque l’entreprise appartient à un réseau commercial, les recherches de reclassement d’un de ses salariés déclaré inapte restent limitées à l’entreprise s’il n’existe entre les différentes entreprises indépendantes ayant adhéré au réseau aucune possibilité de permutation des personnels. En l’espèce, le salarié était contrôleur technique dans une entreprise ayant adhéré à un réseau automobile.
Possibilité de proposer un poste de reclassement lors de l’entretien préalable
Les propositions de reclassement effectuées par l’employeur au salarié déclaré inapte peuvent se faire à l’oral lors de l’entretien préalable au licenciement. C’est ce que vient de préciser la Cour de cassation qui précise que « les dispositions de l’article L. 1226-2 du code du travail n’exigent pas que les propositions de reclassement effectuées par l’employeur revêtent la forme d’un écrit et ne prohibent pas la formulation de telles propositions lors de l’entretien préalable.
En l’espèce, au cours de l’entretien préalable, il a été proposé au salarié un poste de travail d’emballage qui respectait les préconisations du médecin du travail puisqu’il ne l’exposait pas au bruit ainsi que la possibilité d’occuper des postes administratifs. Il a décliné ces offres non pas en raison de leur imprécision mais en raison de la baisse de rémunération qu’aurait entraîné la première et de la formation importante qu’aurait nécessité la seconde.
Remarque : dans un arrêt antérieur, la Cour de cassation avait estimé que n’était pas une proposition sérieuse de reclassement la proposition d’un poste effectuée par  l’employeur dans la lettre de convocation à entretien préalable. Mais en l’espèce, il était fait mention d’un poste de secrétariat ou à la reprographie ce qui était trop sommaire pour valoir proposition sérieuse de reclassement.
Importance des échanges avec le médecin du travail pour justifier l’impossibilité de reclassement
L’avis du médecin du travail déclarant le salarié « inapte à tout poste dans l’entreprise » ou précisant que « son état de santé ne permet pas de proposer un reclassement  dans l’entreprise » n’exonère pas l’employeur de son obligation de reclassement. Il doit procéder à une recherche effective de reclassement au sein de l’entreprise et, le cas échéant, du groupe auquel appartient l’entreprise. C’est ce que rappelle la Cour de cassation dans 2 arrêts rendus le 5 octobre 2016. En revanche, les réponses apportées postérieurement au constat d’inaptitude par le médecin du travail sur les possibilités éventuelles de reclassement concourent à la justification par l’employeur de l’impossibilité de remplir cette obligation. Tel est le cas où :
– après l’avis d’inaptitude à tout poste dans l’entreprise du salarié, le médecin du travail, à nouveau consulté par l’employeur quant aux mesures envisageables pour reclasser le salarié  avait, dans 2 courriers successifs, précisé que « c’était le fait de travailler dans l’entreprise qui posait le problème de l’inaptitude et qu’aucune proposition de reclassement n’était envisageable ». En outre, l’employeur n’appartenait pas à un groupe auquel des recherches de reclassement auraient dû être élargies ;
– après l’avis d’inaptitude, des recherches de reclassement ont été menées par l’employeur en concertation avec le médecin du travail. Ce dernier a visité l’atelier où était affecté le salarié inapte ( conducteur de machines dans une société de cartonnage) et adressé à l’employeur, dans un premier courrier, la liste des postes susceptibles d’être occupés par le salarié. Ultérieurement, le médecin du travail avait exclu tout poste de production dans l’entreprise en raison d’une prohibition de tout mouvement répétitif. Par ailleurs, des recherches effectives se sont poursuivies au niveau du groupe.
En conséquence, le licenciement pour inaptitude et impossibilité de reclassement notifié au salarié inapte repose sur une cause réelle et sérieuse.

Remarque : à noter, le cas particulier où, en cas d’inaptitude d’origine professionnelle, l’employeur est dispensé de rechercher un reclassement lorsque l’avis d’inaptitude précise que « le maintien du salarié  serait gravement préjudiciable à sa santé »; La loi Travail étend ce motif de licenciement à l’inaptitude d’origine non professionnelle et prévoit un autre cas de dispense : le cas où l’avis d’inaptitude précise que « l’état de santé du salarié fait obstacle à tout reclassement dans l’emploi ». Ces modifications entreront en vigueur à la date de publication des décrets d’application et en tout état de cause, avant le 1er janvier 2017.
Consultation des délégués du personnel sur le reclassement en cas d’inaptitude professionnelle
Lorsque l’inaptitude est d’origine professionnelle, les délégués du personnel doivent être consultés pour donner un avis sur le reclassement du salarié. Plus précisément, le code du travail précise que la proposition de reclassement faite par l’employeur « prend en compte, après avis des délégués du personnel, les conclusions écrites du médecin du travail et les indications qu’il formule sur l’aptitude du salarié à exercer l’une des tâches dans l’entreprise ».
Remarque : le défaut de consultation des délégués du personnel est justifié si l’employeur n’est pas soumis à l’obligation de mettre en place des délégués du personnel (entreprises de moins de 11 salariés) ou s’il existe un procès-verbal de carence.
Jusqu’à maintenant, la Cour de cassation exigeait que l’employeur prenne l’avis des délégués du personnel dès lors qu’un salarié était déclaré inapte suite à un accident du travail ou une maladie professionnelle même lorsqu’il invoquait l’impossibilité de reclassement.
On pourrait penser que cette solution soit remise en cause par un arrêt récent de la Cour de cassation selon lequel  : « si les dispositions du code du travail exigent que l’avis des délégués du personnel intervienne avant la proposition de reclassement, une telle exigence ne résulte, en l’absence de proposition de reclassement ni de ce texte ni du code du     travail ».
Une première lecture de cet arrêt laisse à penser qu’à défaut de texte, il n’existe pas d’obligation de consulter les délégués du personnel en l’absence de proposition de reclassement. En effet, l’obligation de consulter les délégués du personnel (DP) n’est prévue que pour donner un avis sur la proposition de reclassement. Aucun autre texte ne prévoit la consultation des DP au cours de la procédure d’inaptitude.
Toutefois, il faut rester prudent sur la portée de cet arrêt : dans les faits de l’espèce, l’employeur avait fait des recherches approfondies de reclassement et avait consulté les DP après avoir informé le salarié de l’impossibilité de reclassement. Il a donc été relevé que l’employeur n’avait pas agi de manière hâtive et avait effectué une recherche sérieuse de reclassement.
Une autre lecture de l’arrêt peut être défendue et en limite la portée : c’est celle de dire que la consultation des délégués du personnel est obligatoire, même lorsqu’il n’y a pas de proposition de reclassement, sur l’impossibilité de reclassement mais qu’il n’est pas exigé que cette consultation ait lieu avant la « proposition de reclassement » puisqu’il n’y en n’a pas. La  consultation peut alors avoir lieu à tout moment entre le constat de l’inaptitude et l’entretien préalable de licenciement, même après informé le salarié de l’impossibilité de reclassement.
Il faudra donc attendre d’autres arrêts de la Cour de cassation pour préciser l’étendue de l’obligation de consulter les délégués du personnel. En attendant, pour éviter tout risque de contentieux, il reste préférable de consulter les délégués du personnel en cas d’inaptitude professionnelle, dans tous les cas de figure.
Remarque : à noter que la question de l’exigence de consulter les délégués du personnel se pose avec acuité lorsque l’avis d’inaptitude pris par le médecin du travail précise que « le maintien du salarié serait gravement préjudiciable à sa santé ». Il en sera de même dans le cas prévu par la loi Travail où l’avis du médecin du travail précise que « l’état de santé du salarié fait obstacle à tout reclassement ». En effet, dans ces 2 cas de figure, il y a dispense pour l’employeur de rechercher un reclassement ; l’avis des délégués du personnel ayant pour objet de donner un avis sur les propositions de reclassement, on pourrait penser que l’absence d’obligation de rechercher un reclassement enlève tout objet à cette consultation. En l’absence de certitude, il est préférable toutefois de rester prudent et de continuer à consulter les délégués du personnel avant de notifier le licenciement pour inaptitude.

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