La cour d’appel de Paris vient d’infirmer la position prise par la Cour de cassation le 19 mars dernier, estimant qu’une crèche privée peut, sur la base de son règlement intérieur, interdire à une salariée le port du voile islamique.

Cour d’Appel de Paris 27/11/2013

La cour d’appel de Paris vient de prendre le contre-pied de la décision de la Cour de cassation, en confirmant mercredi dernier, le licenciement d’une salariée de la crèche privée Baby Loup.

Pour mémoire, dans cette affaire, qui a déjà fait grand bruit, la salariée, éducatrice de jeunes enfants, ayant refusé de travailler sans le voile islamique qui couvrait ses cheveux, avait été licenciée pour faute grave. Cette attitude contrevenait, selon l’employeur, aux dispositions du règlement intérieur de l’association, lequel édictait une règle générale de laïcité et de neutralité applicable à chacun des membres du personnel. Le règlement intérieur de l’association Baby-Loup prévoyait en effet que « le principe de la liberté de conscience et de religion des membres du personnel ne pouvait faire obstacle au respect des principes de laïcité et de neutralité qui s’appliquent dans l’exercice de l’ensemble des activités développées par Baby-Loup, tant dans les locaux de la crèche ou ses annexes qu’en accompagnement extérieur des enfants confiés à la crèche ».

La salariée, s’estimant victime de discrimination au regard de ses convictions religieuses, avait demandé l’annulation de son licenciement.

Déboutée par la cour d’appel de Versailles en octobre 2011, elle avait obtenu gain de cause devant la Cour de cassation le 19 mars dernier.

Au visa des articles L. 1121-1, L. 1132-1, L. 1133-1 et L. 1321-3 du code du travail et de l’article 9 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, la Cour de cassation avait précisé :

– que le principe de laïcité instauré par l’article 1er de la Constitution n’était pas applicable aux salariés des employeurs de droit privé qui ne géraient pas un service public ;

– que le principe de laïcité ne pouvait donc être invoqué pour priver les salariés de la protection que leur assurent les dispositions du code du travail ;

– qu’il résultait des articles L. 1121-1, L. 1132-1, L. 1133-1 et L. 1321-3 du code du travail que les restrictions à la liberté religieuse devaient être justifiées par la nature de la tâche à accomplir, répondre à une exigence professionnelle essentielle et déterminante et proportionnées au but recherché.

La clause litigieuse du règlement intérieur « instaurant une restriction générale et imprécise », ne répondant pas, selon les Hauts Magistrats, aux exigences de l’article L. 1321-3 du code du travail, était donc invalide. Le licenciement pour faute grave, prononcé au motif que la salariée contrevenait aux dispositions de cette clause, constituait donc une discrimination en raison des convictions religieuses et devait être déclaré nul.

L’affaire avait été renvoyée devant la cour d’appel de Paris, qui vient de rendre sa décision, une décision allant à l’encontre de celle de la Cour de cassation.

En voici les principaux fondements.

La cour d’appel estime que la crèche et halte garderie est « une personne morale de droit privé, qui assure une mission d’intérêt général » ; en tant que telle, elle peut dans certaines circonstances constituer une « entreprise de conviction » au sens de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme ; elle peut alors se doter de statuts et d’un règlement intérieur prévoyant une obligation de neutralité du personnel dans l’exercice de ses tâches, une telle obligation emportant notamment interdiction de porter tout signe ostentatoire de religion. 

Remarque : « l’entreprise de conviction » s’apparente-t-elle à l’entreprise dite « de tendance » décrite par Philippe Waquet, ancien président de la chambre sociale de la Cour de cassation? Il s’agit d’entreprises dans lesquelles « une idéologie, une morale, une philosophie ou une politique est expressément prônée ». il est admis que la liberté du salarié soit moins grande que dans une entreprise « ordinaire ».

La Cour d’appel rappelle qu’aux termes de ses statuts, l’association Baby-Loup a pour objectif de développer une action orientée vers la petite enfance en milieu défavorisé et d’oeuvrer pour l’insertion sociale et professionnelle des femmes sans distinction d’opinion politique et confessionnelle. L’association peut donc être qualifiée d’entreprise de conviction en mesure d’exiger la neutralité de ses employés. Sa volonté de l’obtenir résulte suffisamment en l’occurrence des dispositions tant de ses statuts que de son règlement intérieur (…) aux termes duquel le principe de la liberté de conscience et de religion de chacun des membres du personnel ne peut faire obstacle au respect des principes de laïcité et de neutralité qui s’appliquent dans l’exercice de l’ensemble des activités développées, tant dans les locaux de la crèche ou ses annexes qu’en accompagnement extérieur des enfants confiés à la crèche ».

La formulation de cette obligation de neutralité dans le règlement intérieur est, aux yeux des magistrats de la Cour, suffisamment précise pour qu’elle soit entendue comme étant d’application limitée aux activités d’éveil et d’accompagnement des enfants à l’intérieur et à l’extérieur des locaux professionnels. Elle n’a donc pas la portée d’une interdiction générale puisqu’elle exclut les activités sans contact avec les enfants, notamment celles destinées à l’insertion sociale et professionnelle des femmes du quartier qui se déroulent hors la présence des enfants confiés à la crèche.

Les restrictions ainsi apportées sont justifiées par la nature de la tâche à accomplir et proportionnées au but recherché, et ne portent pas atteinte aux libertés fondamentales, dont la liberté religieuse ; elles ne présentent pas un caractère discriminatoire, en conclut la cour d’appel.

Par conséquent, la faute grave de la salariée est bien caractérisée : le fait, pour cette dernière, de se maintenir sur les lieux de travail après notification de la mise à pied conservatoire consécutive au refus d’ôter son voile islamique, alors que cette mise à pied « reposait sur un ordre licite de l’employeur au regard de l’obligation spécifique de neutralité imposée à la salariée par le règlement intérieur de l’entreprise, caractérise une faute grave nécessitant le départ de celle-ci ».

L’affaire Baby-Loup n’est semble-t-il pas terminée puisque, selon l’avocat de la salariée, il est « très probable » que celle-ci forme un nouveau pourvoi en cassation, ce qui conduirait l’Assemblée plénière de la Cour de cassation, en présence des résistances d’une juridiction inférieure, à être saisie de cette affaire…Elle aura à s’exprimer sur la qualification d’entreprise de conviction pour une association laîque et définir le rôle du règlement intérieur dans une telle entreprise.

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